Wegweiser Steilrinnen Pente raide Bon plan « Au début de la descente, j'avais vraiment la trouille », se souvient Jérémie Heitz, le héros suisse des faces raides. Avec son documentaire « La Liste » dévoilant ses descentes à grande vitesse des faces de glace vertigineuses de la Lenzspitze, de l'Obergabelhorn & Cie, il est devenu mondialement connu. Descendre à ski des couloirs et des parois de glace recouvertes d’une fine couche de neige et d'une inclinaison de 45 à 50 degrés voire plus, c'est du hara-kiri pour les uns, l'accomplissement pour les autres. Pour comprendre le tréfonds de ce mélange de fascination et de folie, je me rends dans l'Oberland bernois. Un mix de scènes de l'histoire de l'alpinisme et de bribes d'interviews de riders professionnels et de pionniers du ski de pente raide bouillonne dans ma tête lorsque le train du Jungfraujoch nous véhicule jusqu'au point de départ, à 3500 mètres d'altitude. Quelques chapitres les plus essentiels du ski de pente raide ont été écrits ici, à deux pas des notables Eiger, Jungfrau et Mönch. Une légende : les premières descentes à ski spectaculaires des deux italiens Toni Valeruz et Bruno Pederiva. En 1983 ils ont réussi à dévaler la face nord-est de l’Eiger (55 degrés), qualifiée auparavant d’inskiable. Comme aucune équipe de télévision ne les accompagnait, Valeruz est remonté le lendemain devant les caméras et a reskié la face – seul. Le bernois Chris Kohler n'était alors qu'un petit garçon. Mais le reportage sur cet exploit l'a tellement impressionné que l'envie de maîtriser lui aussi des descentes similaires ne l'a plus quitté depuis. C'est un mélange de frissons et d'exaltation qui rend le ski à la verticale si fascinant. Le soir, Chris est assis devant la Mönchsjochhütte et discute des détails des prochains jours avec ses compagnons. Ce ne sont pas les premières aventures à la verticale que Chris entreprend avec ses copains. Une solide formation d’alpinisme au CAS, une position d’officier des troupes suisses de haute montagne ainsi qu'une profonde passion pour le freeride ont depuis longtemps permis à Chris de réaliser certains de ses rêves de jeunesse les plus audacieux. Échauffement au-dessus des séracs Le lendemain matin, Chris et son compagnon de cordée Christian Paul s’encordent pour crapahuter en direction du Mönch (4107 mètres) par son arête sud-est. « Je suis surtout attiré par les projets qui ne s'improvisent pas. De simples descentes freeride en bordure d’un domaine skiable procurant simplement de l’adrénaline ne m’intéressent pas plus que tant », réfléchit Chris en reprenant son souffle. Pendant des semaines, voire des années, il suit les conditions dans les parois de ses rêves, rassemble des informations, élabore des stratégies, jusqu'à ce que les conditions soient enfin réunies. « L’aventure commence dans ma tête, bien avant de se rendre en montagne ». La descente du Mönch n'est pas moins aventureuse. Une chute pourrait se terminer dans les séracs du ‹1› « Le plus beau, c’est le calme. Pas d’agitation, pas de rivalité pour la première ligne comme en freeride. » versant sud du Mönch de la hauteur d'un clocher d’église. « Un bon échauffement pour demain », dit Chris en souriant. Le lendemain, dans l'ascension du Fiescherhorn, le paysage ressemble à une planète de glace et de pierres, couronnée d'imposantes aiguilles rocheuses. Heini Holzer, pionnier du ski de pente raide, a un jour appelé ses projets « la conquête du vide ». Les skis sur le sac à dos, les crampons aux pieds, les piolets dans les mains, chaque pas ressemble à une génuflexion avec un lourd haltère sur les épaules. Chaque pas force encore plus la respiration. La face raide et la neige durcie du Fiescherhorn requièrent une concentration monstre. Épuisée, notre petite équipe atteint l'arête sommitale. La vue vers les profondeurs ressemble à celle d'un hélicoptère. Peu à peu, le pouls se calme. « Ce qu'il y a de plus beau dans ce genre d'action, c'est la liberté et le calme », constate Chris. « Pas de précipitation, pas de rivalité pour la première ligne comme en freeride ». Le silence semble presque palpable. Une demi-heure plus tard, le soleil fait légèrement briller la surface de la neige. « C'est maintenant ou jamais ! » Chris est prêt à partir. Il prend le premier virage vers l'abîme. Les carres mordent la neige. Chaque virage doit être assuré. Danse au bord du gouffre Qu'est-ce qui nous pousse à faire notre trace à la limite de la chute libre ? C'est peut-être la même raison toute simple qui pousse les alpinistes à gravir les montagnes les plus raides, les plus hautes et les plus difficiles : parce qu'elles sont là, tout simplement. Mais à elle seule, cette raison ne suffit pas à élucider le mystère de la fascination qu’exerce l’univers alpin. Les possibilités d'interprétation pour expliquer l’attrait d’une danse au bord du gouffre sont bien plus nombreuses. ‹1› Plongeon : dans la face raide du Hinter Fiescherhorn dans l’Oberland bernois. La vue plongeante sur le Ewigschneefäld est grandiose. ‹2› Tout porter et avancer avec les piolets : comme au Hinter Fiescherhorn, l’accès aux descentes raides n’est pas donné. Dans les années 1970, le pionnier français de pente raide Patrick Vallençant a inventé le slogan « Si tu tombes, tu meurs ». Il comprenait ces cinq mots comme un avertissement. Comme un signe d'être vigilant, de ne pas se permettre d'erreur. Ils sont devenus des mots courants dans le milieu. Alors, concentration totale ! Un état de flow d'une rare intensité s'installe, un peu comme dans les voies d'escalade exigeantes. « Tu ne penses qu'au prochain virage », dit Chris. Le corps et l'esprit se fondent en une unité jamais vécue auparavant. 800 mètres plus bas, la tension et la joie se libèrent dans un « youhououou » collectif. Ce qui suit, ce sont des virages de plaisir libérateurs sur le Ewigschneefäld jusqu'à la cabane Concordia. Un sentiment de profonde satisfaction se répand. Le ski de pente raide est l'une des dernières disciplines des sports de montagne sans règles de compétition, l'un des derniers refuges pour les aventuriers individualistes. Décédé en juillet 2024 à l’âge de 87 ans, Sylvain Saudan était un pionnier du ski de pente raide. Il a notamment été le premier à descendre la face est du Mont Rose. Lorsqu'on lui a demandé ce qui l'avait poussé, jeune homme, à skier les parois les plus raides il a répondu : « Je voulais simplement me découvrir moi-même ». Chris hoche la tête en signe d'approbation. Il ne s'agit pas de degrés d'inclinaison de la pente, ni de sensations. Skier des pentes raides est comparable à l’éternel rêve de l'humanité : voler. « Ce qui compte, c'est de vivre ce rêve. » ‹2› 28 29
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