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Inspiration No 3 - 2021

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RENCONTRE AU SOMMET

RENCONTRE AU SOMMET SIMONE MORO 14 janvier 2005, Shisha Pangma : pour la première fois depuis 1988 (Lhotse), Moro réussit la première ascension hivernale d’un 8000. jamais arrêté de m’entraîner. Je cours tous les jours 15 à 20 kilomètres et je fais de la musculation, des tractions et des pompes. Je n’ai donc pas de peine à porter de lourds sacs à dos. Quelle est l’importance du mental dans tes entreprises ? L’alpinisme constitue déjà un défi particulier en soi. Lorsqu’on le pratique en hiver, les circonstances extérieures ne rendent-elles pas l’expérience encore plus intense ? Le mental est la clé. J’ai connu de bons alpinistes qui n’ont pas réussi à supporter d’être condamnés à ne rien faire au camp de base. Moi, je le vis bien. Cet hiver, au Manaslu, j’ai même dû passer un mois et demi avec un seul morceau de musique car je n’avais rien enregistré d’autre sur mon smartphone. Je ne l’avais pas remarqué avant car j’utilise généralement Spotify. Mais un morceau a suffi. des solutions. Chez nous, en Europe, lorsqu’un sac à dos est cassé, on s’en achète un nouveau. Le Russe se demande comment il pourra le réparer. En hiver, il faut toujours improviser. C’est quelque chose qu’on ne sait pas bien faire chez nous. Mi-janvier, ce ne sont pourtant pas des Russes ni des Polonais qui ont écrit l’histoire sur le K2, mais une équipe de Népalais. Ils ont réussi l’ascension hivernale du deuxième plus haut sommet du monde, qui culmine à 8611 mètres. Cela m’a vraiment réjoui. Je suis heureux qu’ils y soient parvenus. Les Népalais ont manqué dans l’histoire de l’alpinisme hivernal. Cette réussite leur revient et ils l’ont méritée. Simone Moro et le Népal, cela nous évoque le printemps 2013. Oui, ça n’était pas très beau. Tu étais présent lorsque Ueli Steck a failli être lapidé en 2013 sur l’Everest. Dans son livre « Une autre vie », Ueli raconte les fâcheux événements dans la face du Lhotse, durant lesquels vous vous êtes affrontés avec les indigènes. Il évoque des « angoisses de mort » qui ont duré longtemps. Nous étions en danger de mort. Ueli était vraiment choqué. Après 24 heures, j’avais déjà oublié les événements. La journée qui a suivi les incidents, j’ai organisé une cérémonie pour la paix au camp de base. Je me suis expliqué et j’ai affirmé que mille hivernal. J’ai réalisé ma première expédition en 1992 sur l’Everest. Ma deuxième expédition déjà, sur l’Aconcagua, a eu lieu en hiver. Qu’est-ce qui différencie l’alpinisme hivernal de l’alpinisme estival ? L’hiver est plus froid. Bien sûr. C’est une lapalissade. Mais l’hiver n’incarne pas qu’une saison différente, c’est aussi un autre monde. En hiver, tu es isolé au camp de base. Pas d’autres groupes, pas de randonneurs, pas de sherpas, pas d’hélicoptère. Il n’y a pas d’eau courante et il faut faire fondre la neige et la glace. Autre différence importante : en hiver, on passe beaucoup de semaines à ne faire qu’attendre. Tu te sens bien, le ciel est bleu, le temps radieux, puis une tempête éclate, si puissante qu'il peut arriver que tu ne « Je ne suis pas fan de la mer. » trouves peut-être qu’une seule fenêtre météo favorable pour ton ascension de tout l’hiver. Mais, aujourd’hui, tu n’es certainement plus aussi isolé que lors de tes premières expéditions hivernales. C’est vrai. Même si je n’ai pas l’intention de faire parler de moi, il y a toujours quelqu’un qui me reconnaît, qui prend un selfie avec moi et qui le poste. Le monde entier est alors au courant. Mais, ça n’est pas tout : l’hiver dernier, au Manaslu, je n’ai eu besoin que de mon smartphone pour être connecté au monde. Le réseau mobile du village d’à côté arrivait jusqu’au camp de base. Les technologies modernes facilitent aussi beaucoup les choses. Tu peux désormais consulter les prévisions météo, un élément décisif en hiver. Je continue à faire confiance à Karl Gabl, à Innsbruck. Mais, évidemment, c’est devenu plus simple. Karl m’envoie ses pronostics par WhatsApp. À l’époque, nous nous téléphonions. Là, tu apprends qu’il faut compter avec moins 40 degrés au sommet... Peut-on se préparer à de telles températures ? Tu ne peux pas t’entraîner à avoir froid. Tu peux seulement t’y habituer. Je le fais en ne portant généralement qu’un t-shirt ou une polaire légère. En revanche, je ne fais pas de jogging nu et ne saute pas dans les rivières glacées, si c’est à cela que tu penses. Je n’ai simplement pas de problèmes avec le froid. Il ne me fait pas souffrir tant que ça. Et comment te prépares-tu physiquement à tes expéditions ? J’aime rester fit. C’est pourquoi je n’ai PHOTO : ARCHIV SIMONE MORO PHOTO : MATTEO ZANGA Tu peux nous dire de quel morceau il s’agissait ? C’était « Four Dimensions », de Ludovico Einaudi. Mais, ce que je veux dire par là, c’est que je supporte bien la solitude. Je n’ai pas besoin d’avoir beaucoup de gens autour de moi. C’est probablement aussi pour cette raison que j’ai réussi 19 expéditions hivernales, un score qu’aucun autre n’a atteint. Tu as fait beaucoup d’alpinisme avec des gens de l’ancien bloc soviétique, notamment Anatoli Boukrejew, Piotr Morawski et Denis Urubko. Cela a-til laissé des traces ? Sans aucun doute. Ces gens sont différents. Ils ont tout simplement l’habitude de souffrir davantage. Ceux qui vivaient en dehors des villes en particulier, autrefois du moins, avaient une vie très différente, archaïque. Ils ont grandi dans une maison avec une seule pièce chauffée. En montagne, ils s’en sortent avec un sandwich par jour. Mais, surtout, ils savent trouver Moro est pilote d’hélicoptère depuis 2009. Il réalise notamment des transports et des opérations de sauvetage pour la société népalaise Fishtail Air. PORTRAIT SIMONE MORO Simone Moro naît le 27 octobre 1967 à Bergame. Il gravit ses premiers sommets dans le massif de Presanella et dans les Dolomites. En 1985, il rejoint l’équipe nationale italienne d’escalade, de laquelle il devient plus tard entraîneur. En 2003, il soutient une thèse en sciences du sport sur le thème de l’alpinisme à des altitudes extrêmes, sujet qu’il maîtrise également d’un point de vue pratique depuis 1992. En 1996, il rencontre Anatoli Boukrejew au Fitz Roy. Moro entretient depuis une relation de longue haleine avec l’alpiniste russe. Il atteint son objectif ambitieux – faire revivre l’ère polonaise de l’alpinisme hivernal des années 1980 – en réalisant, entre le 21 décembre et le 21 mars, quatre premières ascensions sur des sommets de 8000 mètres. 48 INSPIRATION 03 / 2021 49

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