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Inspiration No.2 - 2022

RENCONTRE AU SOMMET

RENCONTRE AU SOMMET BILLI BIERLING l’espace de 48 heures, tout a fermé à Katmandu. Mais la plupart des expéditions sur l’Everest se sont poursuivies. Les gens étaient de toute façon déjà dans le pays. Et comment se portent les gens au Népal sur le plan économique ? Avant la crise du Covid, le tourisme représentait 8 pour cent du PIB et était l’une des principales sources de devises étrangères. C’est très difficile. À Thamel, le quartier de Katmandu le plus prisé par les touristes, certains restaurants, cafés et commerce sont encore ouverts, mais beaucoup ont fermé. Autrefois, Katmandu comptait 5000 agences de trekking. Je ne sais pas combien ont survécu à cette crise. Lorsque j’ai fait le tour du Manaslu avec un groupe en automne, nous n’y avons rencontré que trois autres groupes, contre des centaines normalement. Les voyages culturels vers les villes impériales sont aussi nettement moins nombreux. Lorsque vous êtes au Népal, vous n’êtes pas en vacances. Vous y travaillez pour l’Himalayan Database. En quoi ce travail consiste-t-il exactement ? Officiellement, je suis Managing Director de l’Himalayan Database. Depuis quelques années, nous sommes une organisation à but non lucratif inscrite aux USA. Il est donc nécessaire que quelqu’un occupe cette fonction. Et puisque je suis le visage le plus connu de cette base de données, j’assume cette tâche. Je travaille en grande partie bénévolement. De temps en temps, on me paie mes vols. Mais le poste de Managing Director ne signifie pas que je suis la cheffe. Nous sommes une équipe composée de personnes fantastiques originaires de France, d’Allemagne, de Chine et du Népal. Nous interrogeons les membres d’expéditions ayant lieu sur les plus hautes montagnes du Népal. Quelle est l’utilité de cette base de données ? On ne tient pas une comp- tabilité des ascensions sur le Cervin ou sur l’Eiger, par exemple. Cette base de données n’est pas indispensable, raison pour laquelle il n’en existe pas pour le Cervin ou l’Eiger. Mais nous sommes la seule source d’informations relatives à l’alpinisme au Népal. Cette base de données nous permet par exemple de savoir exactement combien de personnes sont mortes dans la descente de l’Annapurna IV. Nous savons tout sur les premières ascensions, ce qui fait de nous une référence. Lorsque quelqu’un planifie une première ascension, il peut nous contacter pour savoir si celle-ci a déjà eu lieu ou non. Les organisateurs d’expéditions peuvent découvrir si un homme ou une femme d’Uruguay a déjà été sur l’Everest. Nous voyons aussi des tendances : auparavant, le taux de réussite sur l’Everest était de 10 pour cent, contre 60 pour cent aujourd’hui. Et quel est le taux de réussite de l’Uruguay sur l’Everest jusqu’à présent ? Un seul alpiniste uruguayen a gravi l’Everest jusqu’à aujourd’hui, et seulement en 2019. Au printemps 2021, une Uruguayenne a tenté sa chance, mais elle a dû abandonner à 8000 mètres. « Miss Hawley n’est pas parvenue à lever le voile sur tous les cas. » Ralf Dujmovits, Elizabeth Hawley, Gerlinde Kaltenbrunner et Billi Bierling (d. g. à. d.) Lorsque Elizabeth Hawley, l’initiatrice de cette chronique décédée il y a quatre ans, a commencé ce travail au début des années 1960, il n’y avait qu’une expédition par saison sur les hautes montagnes du Népal. Certains devaient attendre de longues années avant d’être autorisés à réaliser l’ascension. Aujourd’hui, ils sont des centaines à gravir l’Everest durant la saison de pré-mousson. Ces chiffres sont-ils gérables pour le personnel de l’Himalayan Database ? Au vu de la quantité d’alpinistes, nous aurions besoin d’au moins 30 collaborateurs. En 2004, lorsque j’ai commencé mon travail pour Miss Hawley, il y avait Gerlinde Kaltenbrunner d’Autriche et Ferran Latorre PHOTOS : RALF DUJMOVITS/AMICAL ALPIN d’Espagne, et avec eux peut-être une vingtaine de personnes, qui voulaient gravir les 14 plus hauts sommets de la Terre. Ils sont si nombreux aujourd’hui. Ils gravissent l’Everest aujourd’hui et le lendemain, ils s’attaquent au Lhotse. L’Everest n’est plus une aventure, mais un défi sportif. 2019, il a gravi tous les huit mille en six mois et six jours. Il sert d’exemple à d’autres alpinistes. De quel type de personnes s’agit-il ? J’ai récemment fait la connaissance d’une jeune femme originaire de Taïwan, qui revenait tout juste de l’Annapurna I. Elle avait commencé l’alpinisme deux ans « Le respect envers les montagnes s’est quelque peu perdu. Nombreux sont les gens qui font de l’alpinisme pour être admirés. » « Nous aurions besoin d’au moins 30 collaborateurs. » Billi Bierling interviewée par Lolo Gonzalez Même depuis votre ascension de l’Everest en mai 2009, énormément de choses ont changé. Les montagnes sont devenues bien plus accessibles. Et pendant longtemps, la plupart se contentaient de l’Everest. Aujourd’hui, ils doivent gravir les 14 sommets. C’est le plus gros changement pour moi. Nirmal Purja a ouvert une nouvelle dimension. En plus tôt et avait déjà réalisé l’ascension de huit sommets de huit mille mètres. Mais il ne s’agit pas d’alpinistes autonomes. J’avais l’intention de m’entretenir avec la Taïwanaise à propos du danger d’avalanches à l’Annapurna I. Raison pour laquelle les alpinistes expérimentés craignent cette montagne… Oui, pourtant il m’a semblé qu’elle n’avait jamais entendu parler du danger d’avalanches, pourtant connu sur l’Annapurna I. Un autre exemple : il y a trois ans, les sherpas ont perdu une corde sur le Kangchenjunga, à 8300 mètres. À quelques exceptions près, tous les participants de l’expédition ont fait demi-tour, car ils n’étaient pas capables de monter les derniers deux cents mètres jusqu’au sommet sans corde fixe. Existe-t-il des différences entre les nationalités ? Oui. Je me souviens d’une jeune Indienne sur l’Everest, au camp IV. Les sherpas voulaient qu’elle redescende. On a appelé son père pour qu’il la convainque. Qu’a dit le père ? Non, ma fille doit aller au sommet. Elle est finalement redescendue, car ça n’allait tout simplement pas. J’ai également vu des expéditions japonaises monter sur le Mera Peak, qui culmine à 6476 mètres, avec de l’oxygène en bouteille. À contrario, les Allemands, les Autrichiens et les Suisses ont tendance à renoncer à l’oxygène. C’est aussi intéressant de voir tous les médicaments qu’avalent les Américains. C’est très surprenant. Vous-même, que pensez-vous de cette ruée vers les hautes montagnes ? Les responsables à Katmandu devraient-ils intervenir ? Le respect envers les montagnes s’est quelque peu perdu. Tout semble si facile. Il en va de même sur le Cervin ou la Zug spitze. Les montagnes sont devenues bien plus accessibles grâce aux médias sociaux et aux livres. Un retour en arrière n’est pas possible. Nombreux sont les gens qui font de l’alpinisme pour être admirés. Miss Hawley s’est aussi fait connaître pour avoir révélé plusieurs « cas d’escroquerie ». Comment démasque-t-on des imposteurs ? Pas si simple. Parfois on découvre la supercherie par hasard, parfois on ne remarque rien du tout. Miss Hawley 38 INSPIRATION 02 / 2022 39

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