RENCONTRE AU SOMMET BILLI BIERLING BILLI BIERLING n’est pas parvenue à découvrir tous les cas. Le couple indien qui a prétendu, il y a quelques années, avoir été sur le sommet de l’Everest, ce qui s’est révélé plus tard être un mensonge, avait été interviewé par un de mes collègues. Il n’avait pas décelé le mensonge. Comment aurait-il pu ? Au premier coup d’œil, la photo du sommet avait l’air correcte. Du fait que, par exemple, donner des conférences sur l’Everest peut rapporter beaucoup d’argent, il est bien sûr intéressant de savoir si les gens ont réellement vécu ce qu’ils racontent. C’est la différence entre le Cervin et l’Everest. Avez-vous déjà décelé des cas d’escroquerie ? Une fois, un homme m’a présenté une photo du sommet du Kangchenjunga. Le sommet se reflétait sur son masque de ski. On voyait donc clairement qu’il n’y était pas. L’année suivante, il est retourné sur la montagne et est mort au sommet. C’est tragique et cela me fait une immense peine, aujourd’hui encore. Les tricheurs sont-ils plus nombreux ? Les gens ont toujours triché. La pression des sponsors et des médias Bierling dans le camp de réfugiés de Moria : « Mon hobby principal, ce sont les gens. » sociaux est grande. Cependant, je suis d’avis que la plupart des gens sont honnêtes. Car si je devais suspecter une tromperie à chaque fois que je parle à quelqu’un, je ne pourrais et ne voudrais plus faire ce job. J’ai rencontré personnellement Miss Hawley en 2012 et ai été interrogé par elle. Elle m’a donné une impression de froideur et de dédain. Doit-on être aussi distant pour faire ce travail ou est-il possible de se lier d’amitié avec des alpinistes ? Miss Hawley avait très peu d’empathie. Ce que les gens pensaient d’elle lui était égal. Je suis son exact contraire. J’ai beaucoup d’empathie et mon travail avec l’Himalayan Database m’a permis de développer de nombreuses amitiés avec les alpinistes. Gerlinde Kaltenbrunner est l’une de mes meilleures amies. J’ai aussi très bien connu Ueli Steck et je suis toujours amie avec son épouse, Nicole. Sophie Lavaud est également devenue une bonne amie avec les années. Mais évidemment, c’est difficile de dire à des gens dont on est proche qu’ils n’ont pas atteint le sommet et que leur expédition n’est par conséquent pas comptabilisée dans la base de données. C’est ce que j’ai dû faire en 2016 avec une alpiniste suédoise sur le Manaslu. Le Manaslu a fait les gros titres l’automne dernier. Des images de drones ont montré pour la première fois la situation complexe du sommet. Apparemment, rares sont ceux qui ont atteint le véritable sommet jusqu’ici. Vous êtes allée deux fois sur le Manaslu. Qu’est-ce qui rend cette montagne difficile ? J’ai atteint le sommet en 2010 avec un masque à oxygène et en 2011 sans. À un moment, sur l’arête du Manaslu, on a l’impression d’être en haut. Mais il est en réalité très difficile d’évaluer jusqu’où elle se poursuit. Avec les images de drone prises l’automne dernier par un alpiniste PORTRAIT BILLI BIERLING Billi Bierling, née en 1967 à Garmisch-Partenkirchen, est alpiniste et journaliste. Pour le compte d’Aide humanitaire suisse, elle travaille sur des projets humanitaires dans le monde entier. Elle poursuit la chronique alpine Himalayan Database, l’œuvre d’Elizabeth Hawley, en tant que Managing Director. Contrairement à cette dernière, Billi Bierling gravit elle-même de hautes montagnes. En 2009, elle a été la première Allemande à atteindre le sommet de l’Everest par le col sud et à redescendre en plaine. Billi Bierling a également réalisé l’ascension du Manaslu (deux fois), du Lhotse, du Makalu, du Cho Oyu et du Broad Peak. australien, on voit qu’elle continue et qu’elle va même plus haut. Êtes-vous montée sur le véritable sommet ? Non. D’après ce que je peux en déduire aujourd’hui, je n’ai atteint, ni la première, ni la seconde fois, le point où Mingma G et son équipe se sont rendus cette année. Comment l’Himalayan Database gère ce problème de sommet ? Nous modifierons nos paramètres à partir de 2022 pour les adapter à la réalité topographique et ne validerons que le sommet principal. Pour celles et ceux qui feront demi-tour sur l’antécime, nous mentionnerons « antécime ». Quelle a été la prestation alpine la plus impressionnante dont vous avez entendu parler récemment ? La première ascension de l’arête sud-est de l’Annapurna III en automne 2021. Ce que ces trois Ukrainiens ont réalisé est énorme. Ils sont partis pendant 17 jours sans aucune assistance et sont redescendus, depuis le sommet à 7555 mètres, non pas par l’itinéraire de montée, mais en PHOTOS : MÀD Billi Bierling au sommet du Lhotse, 2011. En face, l’Everest dans le soleil matinal. direction du camp de base sud. Ils n’avaient aucune idée où cet itinéraire menait. Pour moi, c’est inconcevable et j’en suis encore très impressionnée. J’adore interviewer ce type d’alpinistes ! Vous avez-vous-même réalisé l’ascension de six huit milles. Avez-vous prévu de les faire les 14 ? J’exclus le K2, le Kangchenjunga et l’Annapurna car ils sont trop dangereux pour moi. J’aimerais bien en gravir un septième. Mais si je n’y parviens pas, ce n’est pas grave. J’ai déjà vécu beaucoup d’expériences. Ma fierté est d’avoir réussi à atteindre le sommet principal du Broad Peak, car j’ai passé 36 heures sur la pente sommitale. C’était le sommet numéro six. Quel sera le septième ? En été 2021, j’ai voulu faire l’ascension du Gasherbrum II. Mais l’expédition a été annulée à cause du Covid. En 2022, j’aimerais bien aller sur le Dhaulagiri I, mais si cela ne se fait pas, ce n’est pas non plus la fin du monde. En automne, pendant mon trekking sur le Manaslu, j’ai remarqué une fois encore qu’être en montagne – peu importe à quelle altitude – me rend heureuse. Vous êtes également guide. Je ne suis pas véritablement guide, plutôt un genre d’accompagnatrice pour les trekkings. J’ai déjà gravi le Mera Peak et le Kilimanjaro avec des groupes. Vous avez déjà vu énormément d’endroits dans le monde. Quelle est votre région montagneuse préférée ? J’ai beaucoup voyagé en Amérique du Sud, en Himalaya et au Karakorum. Cela peut sembler étrange, mais les Highlands en Ecosse font partie des montagnes les plus sauvages que je connaisse. On peut s’y perdre partout, même sur la plus petite colline, car il n’y a pas de panneaux indicateurs comme chez nous. Je m’intéresse aussi beaucoup aux montagnes d’Asie centrale. Il y a quelques années, je suis allée sur le Pik Energia au Tadjikistan, où j’ai travaillé pour l’Aide humanitaire suisse pendant quelques mois. En revanche, je ne vais pas beaucoup dans les Alpes. En Suisse, je fais surtout du ski de randonnée. Et j’ai gravi la Zugspitze après l’Everest. Avec le temps, elle est devenue ma montagne d’entraînement. Nous avons beaucoup parlé de montagnes. Pour de nombreuses personnes, les montagnes sont synonyme de loisirs. Qu’aimezvous faire durant vos loisirs ? Ai-je des loisirs ? Mes passions sont toutes en lien avec le mouvement à l’air libre. Être dehors est important pour moi. Mais mon hobby principal, ce sont les gens. Voilà pourquoi je travaille aussi volontiers pour l’Aide humanitaire suisse et aime autant collaborer à l’Himalayan Database. Je suis en contact avec énormément de personnes. J’aime découvrir des choses sur elles. Chacune a des histoires à raconter. Il suffit de savoir écouter. 40 INSPIRATION 02 / 2022 41
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